mercredi 4 novembre 2009
lundi 31 août 2009
" Quel look (!) (?)
Géraldine de Margerie et Olivier Marty
Editions Robert Laffont
Du fluokid au bobo, de la caillera à la baby-pouffe, un panorama complet des mouvements de mode de la jeunesse d'aujourd'hui.
Comment distinguer un emo d'un gothique ? Que mange le bling-bling ? Qu'est-ce qu'une gym queen ? Le punk à chien a-t-il une vie sexuelle ? Que signifient les termes grindcore, ollie, pooky, du-rag ? Savez-vous danser le vertigo ? Les modes des jeunes se renouvellent à grande vitesse et sont souvent difficiles à suivre pour le béotien. Certains accoutrements provoquent parfois l'admiration des no looks, souvent l'abattement des parents, toujours l'étonnement des passants. Pour sortir les adultes de leur désarroi et les ados de leur ghetto, Le Dictionnaire du lookoffre une plongée ethnographique au pays du jeune. Il dépasse le cadre du seul vêtement pour s'intéresser aux univers culturels : musique, littérature, politique, séduction, loisirs, alimentation... Le livre explore des " sociotypes " bien connus (bimbo, bling-bling, punk à chien) dont il révèle la généalogie culturelle et dévoile les aspects cachés ; mais aussi des genres plus underground ou à la pointe de la mode (arty, gouine à mèche, kawaii). Il jette les premières bases d’une nouvelle discipline : la popsociologie. |
Ed Paschke
Peter Blake
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Richard Lindner
Nan Goldin
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Diane Arbus
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Pipilotti Rist
Orlan
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Duane Hanson
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Cindy Sherman
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Matthiew Barney
" Fantômes, chimères...et autres figures spectrales "
Nicolas Rubinstein, sans titre, série "Mickey is also a rat", 2005
Mapplethorpe, autoportrait, 1988
Didier Ottinger
CHIMERES
Bellérophon a repris son combat. Aux temps mythiques, juché sur Pégase, il terrassait Chimère, terrifiante survivante de l’âge des titans, de ce chaos antérieur au Cosmos, à l’ordre instauré par les Dieux de l’Olympe. Il a changé son coursier ailé pour une bicyclette rustique. Les télévisions le montrent farouchement campé dans un champ d’herbes hautes. Il fait tournoyer une faux vengeresse, abat, en cercles concentriques, des plants de maïs transgéniques.
Son combat a t-il vraiment un sens ? Faut-il craindre les chimères biotechnologiques ?
La mythologie, l’histoire des arts nous invitent à la suspicion. De façon récurrente, l’Occident a eu à affronter la terrible chimère. Il n’a eu de cesse de les abattre, de les renvoyer aux abysses infernaux, son antre naturel.
Hésiode nous apprend que Chimère, « créature terrifiante, immense, au pied rapide, et forte, dont l’haleine était une flamme impossible à éteindre » est née de l’union de Terre et de Flot (de Gaïa et Pontos). Elle est le dernier rejeton d’une chaîne d’unions contre nature. Celui de Phorcys, fils de Terre et de Flot, avec sa propre sœur Céto, a conduit à la naissance d’Échidna, une vipère au visage de belle jeune fille, au corps de serpent couvert de peau tavelée. Des amours d’Échidna et de Typhon (autre fils de Gaïa) est née Chimère, mais aussi Méduse, Orthos, le cruel Cerbère (le chien tricéphale d’Hadès), ainsi que l’Hydre de Lerne. Ces créatures ont en commun de sévir dans les zones de friches, là où les frontières s’estompent ; entre le monde sacré et le profane, entre la terre des hommes et le royaume des dieux, là où le domaine des vivants se mêle à celui des morts. Le monde de Chimère est celui de la confusion, de l’indétermination. À son nom sont associés un principe de passage, une loi de continuité.
Pour tenir les Chimères en respect, l’imaginaire chrétien a « cloné » Bellérophon. Il l’a dédoublé dans les figures de saint Michel, archange chargé de terrasser les dragons celtiques (son sanctuaire, aux confins de l’Occident indique cette vocation), et dans celle de saint Georges, un ex-légionnaire romain, à qui, aux marches orientales du monde chrétien, revient de tenir en respect les Chimères asiates.
Fille d’Athènes, autant que de Rome, l’Europe chrétienne étend son empire en massacrant Chimère. Pour les saints conquérants de l’Église, elle incarne le paganisme, son hubris démoniaque. En Provence, sainte Marthe terrasse la Tarrasque ; en Lorraine, saint Clément met un terme aux agissements du Graolly. Loin d’être anéanties, les Chimères retournent à la terre qui les a enfantées.
La chrétienté romane adopte l’esthétique néogrecque qu’elle hérite de Byzance. Dans les marges de ses manuscrits, sur les chapiteaux de ses colonnes, elle s’efforce de contenir les arabesques végétales, les créatures hybrides, associées aux cultes anciens des sources et des forêts. Il suffit toutefois du tremblement de terre que provoque l’évocation du Jugement dernier, d’un saint Antoine soumis à la tentation, pour que s’ouvre à nouveau la terre, pour que se répande un peuple, terrifiant et cocasse, de créatures mêlant scandaleusement les règnes et les espèces. « La peinture de diablerie reprend et multiplie ces êtres fantastiques », constate Jurgis Baltrusaïtis.
La Renaissance met un terme momentané aux errements du « Moyen Âge fantastique ». À nouveau, le principe grec d’une beauté abstraite et mathématique (celle qui conduit à l’établissement d’un nouveau canon, réinventé d’après Vitruve et les pythagoriciens) refoule dans l’oubli les vertiges chimériques. C’est de la terre, une fois encore, que ressurgit la bête et son imaginaire. Dans leur quête des vestiges antiques, capables de conforter le dogme d’une belle mathématique, les artistes archéologues de Florence ou de Rome exhument les décors de ce qu’ils croient être une grotte souterraine. Dans le palais de Néron, enfoui profondément sous terre, sommeillent depuis des siècles les images, aussitôt nommées « grotesques », d’une nature luxuriante qui brasse les règnes, fait fusionner le bouc et le lierre, croise à nouveau l’aigle, la chèvre et le lion.
En quelques années, les grotesques conquièrent l’imaginaire d’Occident. Ils prolifèrent des cabinets de curiosité aux voûtes des cathédrales.
André Chastel souligne leur parenté avec les images du rêve : « On peut en énoncer l’originalité à l’aide de deux lois, qui faisaient et font toujours le charme irrésistible des grotesques : la négation de l’espace et la fusion des espèces, l’apesanteur des formes et la prolifération insolente des hybrides. D’abord un monde vertical entièrement défini par le jeu graphique, sans épaisseur ni poids, mélange de rigueur et d’inconsistance qui faisait penser au rêve . »
Au Nord, en Flandres ou dans la vallée du Rhin, Jérôme Bosch, Grünewald, Schongauer multiplient les monstres composites. Baltrusaïtis souligne leurs affinités avec les grotesques. « Sur le retable d’Issenheim, de Grünewald (1516), les démons appartiennent presque tous au règne sylvestre. Leur toison est déchiquetée comme des feuilles mortes et, sur leurs têtes, croît une dure végétation . » Ils s’agrègent au cortège du diable médiéval. « Chez Grünewald, les corps difformes et atrophiés, les combinaisons disproportionnées, les figures relevant de la plus folle altérité, de la plus profonde dissemblance, sont l’effet du péché et du paganisme, la marque du diabolique et de l’immonde… », constate Chastel.
À la fin du XVIe siècle, chimère devient un nom commun : « une imagination vaine, que l’on a tendance à considérer comme réalité », précise Le Littré. L’adjectif « chimérique » devient synonyme d’insensé, Chimère intègre officiellement l’univers du rêve. Lorsqu’il rédige son Essai sur les maladies de la tête (en 1764) Emmanuel Kant témoigne de cet usage moderne du terme chimérique : « On n’a aucune raison de croire que, dans l’état de veille, l’esprit suive d’autres lois que dans le sommeil, il y a plutôt tout lieu de supposer que, dans la veille, seule la vivacité des impressions sensibles rend obscures et méconnaissables les images plus douces de nos chimères ; au lieu que, dans notre sommeil, quand l’accès à l’âme est fermé à toutes les impressions extérieures, elles ont toute leur force . »
Modernes Bellérophon chevauchant la Raison, les auteurs de l’Encyclopédie terrassent les Chimères grâce à l’objectivité… de la topologie. « Le fondement de cette fable (celle de Chimère) est qu’il y avait autrefois en Lycie une montagne dont le sommet était désert, et habité seulement par des lions ; le milieu rempli de chèvres sauvages ; et le pied marécageux plein de serpents. […]. Bellérophon donna la chasse à ces animaux, en nettoya le pays, et rendit utiles les pâturages qu’ils infestaient auparavant ; ce qui fit dire qu’il avait vaincu la chimère . » Conservatrice au moins quant à la philologie, la Révolution s’en tient aux définitions mythologiques d’une Chimère menaçante. En 1790, la Chimère, gravée en 1771 par Monsieur Desprez, devient animal politique. Sa légende : « un monstre à trois têtes désignant les trois états de l’Aristocratie s’occupe à dévorer le cadavre du peuple qu’il a englouti impitoyablement dans ses entrailles carnivores. Il est précédé du Fanatisme à la queue de dragon et qui est vêtu d’un froc monacal, il porte à califourchon sur son dos l’Hypocrisie pressant un serpent qui distille son poison aristocratique ».
Au XIXe siècle, l’étendard de Chimère est brandi par ceux qui refusent de découper la complexité du monde en fonction des catégories étanches du positivisme en vogue. Le recueil de poèmes que Gérard de Nerval titre Chimères en 1854 brasse et dissout les images, réactive par leur fusion, le foisonnement germinatif de la pensée mythique, celui du panthéisme antique. Deux vers du poème Atéros font revivre les figures emblématiques du bestiaire chimérique.
« …je ressème à ses pieds les dents du vieux dragon. »
« C’est mon aïeul Belus ou mon père Dagon. »
Dagon, la créature de la mythologie sumérienne, mi-homme mi-poisson, réapparaît dans La Tentation de saint Antoine que publie Flaubert en 1874. « Respecte-moi ! Je suis le contemporain des origines. J’ai habité le monde informe où sommeillaient des bêtes hermaphrodites, sous le poids d’une atmosphère opaque, dans la profondeur des ondes ténébreuses, - quand les doigts, les nageoires et les ailes étaient confondus, et que des yeux sans tête flottaient comme des mollusques, parmi des taureaux à face humaine et des serpents à pattes de chien . »
Héritier direct de Jean Paul Richter, l’apôtre romantique d’une poésie du rêve, Nerval ébranle la pensée qui coupe et qui isole. « Homme libre penseur ! te crois tu seul pensant dans ce monde où la vie éclate en toute chose ? » Les Chimères célèbrent l’universel dynamisme de la vie : « Respecte dans la bête un esprit agissant : Chaque fleur est une âme à la nature éclose » (dans Vers dorés).
Lorsque Gustave Moreau peint les Chimères, il leur restitue leur passé d’erreurs et de terreur. Il les confond avec les rêves pernicieux et néfastes. « Des femmes, rien que des femmes, avec chacune une chimère, expression visible de la pensée, des désirs, des rêves de chacune. » « Les chimères sombres, terribles, mortelles. Chimères de l’Espace, des Eaux, du Mystère, de l’Ombre et du Rêve », écrit Moreau à propos de son célèbre tableau.
Plus biologiste que moraliste, Odilon Redon s’en tient aux chimères symboliques d’une Physis primitive. Au milieu des années 1860, il se lie d’amitié avec Arnaud Clavaud, un botaniste à la recherche du lien pouvant établir un principe de continuité entre vie végétale et animale. Clavaud initie Redon aux théories de Darwin. La Chimère qu’il dessine (Quand s’éveillait la vie au fond de la matière obscure (1883), dans Les Origines ) est conforme aux théories de l’évolutionnisme. C’est une créature qui ne sort plus de la terre, mais de l’océan, d’une soupe primitive. Lorsque Redon, illustre La Tentation de saint Antoine (d’après le texte de Flaubert), il figure un Dagon qui court-circuite Darwin et la mythologie.
Dans sa Tentation, Flaubert se montre plus panthéiste que chrétien (de ce christianisme qui oppose l’esprit et la matière, fait de Chimère la figure même de cette opposition). Lorsqu’il personnifie Chimère, Flaubert en fait la figure idéale traquée par saint Antoine, à la recherche « des figures primordiales, dont les corps ne sont que les images », du « lien de la matière et de la pensée, en quoi l’être consiste ». Flaubert identifie Chimère à l’imagination humaine : « Moi, je suis légère et joyeuse ! Je découvre aux hommes des perspectives éblouissantes avec des paradis dans les nuages et des félicités lointaines. Je leur verse à l’âme les éternelles démences, projets de bonheur, plans d’avenir, rêves de gloire, et les serments d’amour et les résolutions vertueuses. Je pousse aux périlleux voyages et aux grandes entreprises. J’ai ciselé avec mes pattes les merveilles des architectures. C’est moi qui ai suspendu les clochettes au tombeau de Porsenna, et entouré d’un mur d’orichalque les quais de l’Atlantide. Je cherche des parfums nouveaux, des fleurs plus larges, des plaisirs inéprouvés. Si j’aperçois quelque part un homme dont l’esprit repose dans la sagesse, je tombe dessus, et je l’étrangle . »
Héritier du symbolisme comme du romantisme, le surréalisme reprend à son compte un imaginaire fait de connexions secrètes, d’affinités occultes. En l’espèce des Cadavres exquis, la production chimérique est élevée au rang de méthode poétique. Gaïa n’est jamais loin, lorsque Chimère crache son haleine incendiaire. C’est sur le sol que se penche Max Ernst, en 1925, pour créer son Histoire naturelle. Des feuilles de papier qu’il pose sur un parquet usé naissent des créatures fantastiques : des lapins-buissons, des oiseaux-paresseux, des libellules-marronniers.
Les Chimères qu’invente l’art contemporain tiennent à la fois de l’animal antique et du chimérique moderne. Celles d’Annette Messager ressemblent aux monstres que Goya faisait naître du « sommeil de la raison ». Elles sont les mauvais rêves, les obsessions nocturnes. Celles de Thomas Grünfeld ont la grâce, l’humour des Cadavres exquis. Avec Aziz et Cucher, on découvre à quel point les techniques de l’imagerie contemporaine, celles liées aux images numériques, aux palettes graphiques produisent des chimères, presque automatiquement.
Joan Fontcuberta flirte avec la science. Il invente des chimères que des béquilles ironiquement scientifiques aident à déambuler dans les laboratoires, les musées d’histoire naturelle. Ses animaux impossibles sont souvent que les chaînons de l’histoire du vivant. Eduardo Kac franchit résolument les portes des laboratoires. En 1999, au festival Ars Electronica de Linz, il propose GFP K-9, un chien dont le génome a été modifié par l’apport d’un gène de Méduse Aequorea Victoria. Sous un éclairage bleu (excitation maximale de 448), le chien émet un rayonnement luminescent. L’année suivante, avec l’aide de l’INRA de Jouy-en Josas, il crée GFP Bunny (PVF en français, pour protéine vert fluorescent), un lapin lui aussi rayonnant, célèbre pour avoir fait la « une » de presque tous les journaux du monde.
Les laboratoires recèlent aussi leur bestiaire fantastique. Depuis les travaux de Winkler en botanique (1907), et ceux de Spemann en embryologie animale (1921), le terme de chimère est devenu d’un usage scientifique courant. Il réconcilie les mondes, jusque-là trop souvent étanches, de l’art et de la science.
En 1973, pour la première fois, deux biologistes, Stanley Cohen de l’Université de Stanford et Herbert Boyer de l’Université de Californie, parviennent à combiner deux fragments de matériaux génétiques issus d’organismes qui, dans la nature, ne pouvaient s’accoupler. Ils ouvraient la voie à une expérimentation qu’avait rêvée Jules Verne pour son docteur Moreau. Dix ans plus tard, Ralph Brinster de la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Pennsylvanie parvient à insérer le gène de l’hormone de croissance humain dans des embryons de souris. Devenues des « supersouris », les rongeurs connaissent un développement physiologique accéléré.
Début 1984, en Angleterre, des chercheurs parviennent à fusionner des cellules d’embryons de chèvre et de mouton, fabriquant une « chimère chèvre-mouton ». Si la presse internationale a fait grand cas de la naissance de « Dolly », premier mammifère cloné, elle a beaucoup moins parlé de celle de « Polly », brebis dont le code génétique est « enrichi » d’un gène humain amélioré (par l’équipe dirigée par Keith Campbell, de PPL Therapeitics).
Plus fort encore, une équipe japonaise annonce, en 1997, être parvenue à greffer un chromosome humain entier dans le génome d’une souris. Il arrive que ces recherches suscitent l’inquiétude.
Il y a quelques années, des biologistes du Centre de recherche du ministère de l’Agriculture américain ont fait scandale, après que la télévision eut révélé le spectacle pitoyable de porcs auxquels ils avaient injecté de l’hormone de croissance humaine, transformant les animaux en des créatures velues, arthritiques, atteintes de strabisme et de léthargie. Refroidis, les mêmes chercheurs ont renoncé aux gènes humains, au profit de ceux du poulet. Implantés aux porcins, ils produisent ce que leurs inventeurs eux-mêmes ont nommé des « cochons Arnold Schwazenegger ». La taille de leurs jambons, décuplée par cette modification génétique, en a fait des cochons dignes de salles de body building.
Au-delà des espèces, la science moderne fait fusionner les règnes. Le gène qui, chez la luciole, provoque l’émission d’un signal lumineux est inséré, en 1986, dans le code génétique d’un plant de tabac dont les feuilles se mettent à briller.
La biotechnologie a depuis longtemps trouvé des champs d’application – littéralement – bien concrets. En 1997 ont été plantés plus de trois et demi millions d’hectares de soja transgénique, plus d’un million six cent mille hectares de maïs lui aussi génétiquement modifié.
S’inquiétant de la prolifération de ces chimères végétales, Ted Howard et Jeremy Rifkin ont publié un livre qu’ils ont titré Who Should Play God ? [Qui se prend pour Dieu ?].
Le titre de l’ouvrage est oublieux d’une histoire qui avait fait des Dieux les champions de l’ordre et de la mesure, les destructeurs des créatures survivantes de ces temps obscurs (Chimères, Gorgones, l’Hydre de Lerne…).
L’histoire de Chimère, le souvenir de sa mythologie devraient conduire à changer le titre du livre de Howard et Rifkin, qui devrait légitimement être : Le Retour des Titans. Ainsi intitulé, il soulignerait la spécificité de Chimère, apparue en un temps titanesque, d’avant la séparation du ciel et de la terre. Il y a une borne, temporelle et « éthique », entre Chimère et son lignage et les créatures (chimériques par abus de langage), fruits de l’accouplement des dieux et des hommes, des hommes et des bêtes (Minotaure, Centaures, et autres sirènes). Une caractéristique capitale distingue les « Chimères » de l’âge des Olympiens, de celles de l’âge titanesque : leur génération, sexuée dans un cas, chaotique, indifférenciée dans l’autre. Chimère est l’incarnation d’un vitalisme de nature « végétale », elle affirme un continuum biologique dont l’image la plus éloquente est celle du rameau des grotesques, capable de croiser les genres et espèces du vivant, comme s’il formait un « tout ». Chimère est un monstre pudibond, une négation du sexe.
1 Cité dans Edith Hamilton, La Mythologie, Paris, Éditions Marabout, 1978, p. 162.
2 J. Baltrusaïtis, Le Moyen Âge fantastique, Paris, Flammarion, coll. « Champs », 1981, p. 54.
3 A. Chastel, cité dans P. Morel, Les Grotesques, Paris, Flammarion, coll. « Champs », 2001, p. 87.
4 J. Baltrusaïtis, op. cit., p. 168.
5 Cité dans P. Morel, op. cit., p. 84.
6 E. Kant, Essai sur les maladies de la tête, Paris, 1990, p. 60-62. Cité par Régis Michel dans le catalogue de l’exposition La Chimère de Monsieur Desprez, Paris, Musée du Louvre, 10 février-2 mars 1994, Pavillon de Flore, p. 10.
7 Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences , des arts et des métiers, article « Chimère » (par l’abbé Mallet), III, Paris, 1753, p. 338.
8 Paris, Bibliothéque nationale, Histoire de France, M.99988 à 991, cité par Régis Michel dans le catalogue La Chimère de Monsieur Desprez, op. cit., p. 14.
9 G. Flaubert, La Tentation de Saint Antoine, Paris, Flammarion Garnier, 1967, p. 17.
10 G. Moreau, L’Assembleur de rêves, dans Écrits Complets de Gustave Moreau, Paris, Éditions A. Fontfroide, Bibliothèque artistique et littéraire, 1984, p. 99-100.
11 G. Flaubert, op. cit., p. 238.
12 Ibid., p. 240-241.
Exposition au Centre Pompidou jusqu'au 17 septembre 2007
Tour à tour artiste, collectionneuse, colporteuse, truqueuse, Annette Messager dévoile au Centre Pompidou ses œuvres majeures : entre fantasmagorie et auto-fiction, elles plongent le spectateur dans l’exploration de son intimité psychique.
Dans le hall du Centre Pompidou, une étrange installation accueille le visiteur. La Ballade de Pinocchio à Beaubourg a été imaginée spécialement par Annette Messager pour cette exposition qu’elle a voulu non comme une rétrospective, mais un « panorama » du travail qu’elle mène depuis plus de trente ans. Lentement, un personnage de bois est traîné entre des masses molles. De temps à autre, des fragments de corps humain en skaï rembourré tombent brusquement sur ce petit Pinocchio : mains, pieds, jambes, seins sont ceux auxquels rêve le pantin de bois, objet inanimé en quête d’une âme. On retrouve ce corps désarticulé dans une œuvre plus ancienne, Mes Vœux (1989), photomontage « boltanskien » où l’artiste expose son obsession du corps sexué.
La Ballade de Pinocchio illustre la dernière phase de l’évolution du travail de l’artiste : entre animé et inanimé, mort et vivant, une grande partie de l’œuvre d’Annette Messager est une variation sur le thème de l’organique. Ici apparaît aussi le thème, essentiel, de l’enfance, période du rêve, des peurs primaires, du bricolage psychique. L’installation fait le lien avec des œuvres plus anciennes, notamment avec les fameuses peluches, récurrentes dans l’œuvre de Messager. Depuis lesPensionnaires des années 1970, oiseaux emmaillotés par les soins de l’artiste, jusqu’au théâtre animé d’Articulés-Désarticulés (2002), Annette Messager projette son angoisse dans ces figures de substitution, supports de l’imaginaire pour l’enfant comme pour l’artiste.
Bricoler les rêves
Messager aime à bricoler les objets du quotidien, en soustraire la banalité pour en montrer la violence contenue : « Je me suis toujours intéressée aux arts dévalués, dit-elle. En tant que femme, j’étais déjà une artiste dévaluée. De là sans doute, vient mon goût pour l’art populaire, les proverbes, l’art brut, les sentences, les contes de fées, l’art du quotidien, les broderies, le cinéma… » En tant que femme artiste, Messager pratique la broderie ou le tricot, mais, avec ironie, elle les utilise pour créer des œuvres violentes, commeAnatomie, où la laine détricotée figure le réseau sanguin d’un corps fantasmagorique, ou dans la série des Sentences, suite d’assertions machistes proprement brodées sur des carreaux de tissu.
Collectionner les mythes
Annette Messager fabrique des rêves, collectionne les mythes, reproduit des fantasmes. Ainsi se définit-elle : « Je suis la colporteuse de chimères, la colporteuse des rêves simiesques, des délires arachnéens… Je suis la truqueuse Annette Messager, « Les Messagers »
Paris, Centre Pompidou
6 juin – 17 septembre 2007
Photos, de haut en bas :
- Secret © Adagp, Paris 2007
- Rumeur © Adagp, Paris 2007
Ryan Johnson
Ryan Johnson
Ryan Johnson
Chris Dorosz
Giacometti
Gormley
Boccioni
Gormley
Bellmer
Munch
Wodiczko